Le 20 novembre 2019, la Ministre de la Santé Agnès Buzyn a annoncé, au milieu d’une aide financière massive et bienvenue pour l’hôpital public, le renforcement du rôle des chefs de pôle médecins. Cela confirme l’inflexion annoncée le 18 septembre 2018 par le Président Macron : « Que les médecins (…) puissent prendre une part plus active dans les décisions directes des hôpitaux ». Face à ces annonces, il apparaît utile de faire part de l’expérience d’un hôpital dans lequel cette organisation est déjà effective.
Rappelons que si le management hospitalier public en France est actuellement en échec, les torts sont sans doute partagés. Il ne faut pas dédouaner les (feus) « mandarins » qui gardaient jalousement, et parfois à vie, le pouvoir dans leur service et dédaignaient toute considération économique (considérée comme accessoire voire vulgaire). A leur décharge, la taille des services (quelques dizaines d’agents), bien que pertinente pour animer une équipe autour d’une pathologie, est insuffisante pour permettre des économies d’échelle. Par ailleurs, les Directions n’ont sans doute pas assez utilisé le potentiel d’intelligence managériale de leurs soignants, ce qui a engendré la défiance actuelle. Cela a abouti récemment au départ (inimaginable il y a quelques années) de Professeurs de CHU, lassés de devoir expliquer le pourquoi et le comment d’organisations, d’investissements ou d’équipements pourtant indispensables.
Même si les questions que se pose la communauté hospitalière nationale font également l’objet de débats au CH de Valenciennes, celle de pourquoi positionner des équipes soignantes au pilotage opérationnel n’en est plus une, c’est le comment qui anime quotidiennement nos discussions.
La délégation quasi exhaustive aux pôles
L’hôpital de Valenciennes est le plus grand hôpital non universitaire de France (avec près de 5200 employés et un budget de 450 millions d’€). Situé dans un bassin de population important (800 000 habitants) avec des critères sanitaires et sociaux défavorables, cet hôpital a connu les difficultés classiques de l’hôpital public. Il y a une décennie, les dirigeants de l’époque ont pris une décision courageuse : responsabiliser les soignants en leur accordant une autonomie managériale. Une autre décision courageuse s’en est suivie : celle de médecins et pharmaciens qui ont accepté cette responsabilité. Prenant profit de la loi HPST de 2009, l’hôpital de Valenciennes a poussé jusqu’au bout la délégation attribuée aux chefs de pôle en leur accordant le droit de signature (qui permet de passer commande, d’embaucher,…) et jusqu’à 90% du budget de l’hôpital. Rappelons qu’un pôle regroupe plusieurs services d'intérêt médical commun (avec un effectif total de quelques centaines d’agents). Pour les pôles non soignants, des administratifs sont également chefs de pôle, marquant des relations d’égal à égal avec les chefs de pôle médecins, sous la supervision d’une Direction Générale. Il n’y a donc pas les administratifs d’un côté et les médecins de l’autre. Par ailleurs, les chefs de pôle médecins sont secondés par des cadres supérieurs et des cadres administratifs, formant un trinôme en charge du pilotage de chaque pôle.
Chaque pôle a un budget, des ressources idoines (administratives, informatiques, …), des objectifs et des règles de gestion. A titre d’exemple, un pôle peut engager en toute autonomie des dépenses jusqu’à 75 000 euros sans en référer à la Direction. Tout hospitalier en France connaît bien la frustration de devoir attendre plusieurs semaines pour des commandes de 500 euros … lorsqu’elles sont acceptées. Ainsi, pour engager des dépenses, les pôles sont à un juste milieu : suffisamment prêts du terrain pour prendre en compte les besoins, suffisamment « petits » pour garder des relations personnalisées et suffisamment « gros » pour permettre des économies d’échelle.
Les contraintes économiques ont vite été intégrées par les médecins car le souci d’équilibrer ses dépenses est intuitif lorsqu’on en a la latitude décisionnelle. Les projets futurs du pôle sont soumis à cet équilibre et le chef de pôle rend des comptes, à la direction générale mais également à ses équipes, au sein desquelles il continue d’exercer quotidiennement.
Le succès fut à la clé et il est pérenne puisque cet établissement est excédentaire depuis 7 ans. L’investissement se fait grâce à ses fonds propres, et l’activité croît, permettant d’offrir plus de soins hospitaliers publics à la population. Du personnel médical et soignant est embauché à hauteur de 80 personnes/an depuis 7 ans et le dialogue social s’effectue dans le respect mutuel. Le taux d’absentéisme est faible inférieur à 8%, et en deçà des moyennes nationales. Le mode de gouvernance construit au CH de Valenciennes a abouti à une organisation souple qui a fait ses preuves, à travers son efficience, en simplifiant les circuits de décision. Elle réussit particulièrement, face à la concurrence privée, à maintenir une attractivité médicale. Ainsi, il n’y a pas d’intérimaires médicaux.
Cette organisation innovante n’a pas que des conséquences économiques mais aussi sociologiques et psychologiques. Elle valorise tout le personnel, donne sens à sa mission, augmente l’engagement, qui donne des perspectives de développement professionnel, et in fine augmente la qualité et la sécurité des soins.
L’évolution du modèle
Le modèle valenciennois est en mouvement, chaque évolution, tout en apportant des solutions à des difficultés, suscite de nouveaux questionnements : comment sélectionner et former les Chefs de pôle ? Cette charge nécessite d’y consacrer du temps et les médecins doivent en être conscients. Quel portage pour les projets transversaux ? Quid du rôle de la CME (Commission médicale d’établissement) ? Dans ce système, il est pertinent d’imaginer une CME où tous les soignants seraient impliqués. Car les notions d’équipe et de multidisciplinarité sont, plus qu’ailleurs, consubstantielles du travail hospitalier.
L’hôpital de demain doit réduire le gouffre multi-dimensionnel qui existe historiquement entre personnels : responsabilités dans les soins, durée des études, représentation, responsabilités managériales, salaires, recherche, … Doivent y remédier : les pratiques avancées (avec la prime qui doit y être attachée), l’universitarisation des formations paramédicales, la recherche paramédicale, une CME inclusive, …. Les soignants demandeurs de responsabilités qui ont intégré la dimension médico-économique, doivent être encouragés (et formés). Le meilleur moyen de motiver les soignants est de les faire diriger par d’autres soignants.
Pr Mehdi Mejdoubi, Chef du pôle imagerie
Dr Etienne Cousein, Président de CME
Mr Rodolphe Bourret, Directeur Général
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GHT du Hainaut-Cambrésis
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