Le Dr Fayçal Mouaffak, psychiatre des hôpitaux, chef du pôle G04 à l’EPS de Ville-Evard prend également en soins les urgences psychiatriques de l’hôpital général Delafontaine à Saint-Denis. Entretien.
Faut-il mettre en place un soutien psychologique pour les personnels soignants ?
Les soignants subissent actuellement un stress majeur. Si la dimension physique et somatique, autrement dit la prévention de la contamination, est une priorité, la dimension psychologique est tout aussi importante. Les soignants ne doivent pas s’épuiser, au risque de s’effondrer. A court terme, c’est la solidité de notre système de soins qui sera mise à l’épreuve. Malheureusement, les soignants n’ont pas toujours les mots pour évoquer leur ressenti. Dans l’engagement qui est le leur, ils ont tendance à ne pas prendre le temps d’identifier les troubles dont ils souffrent. Nous devons donc être proactifs et aller chercher le symptôme. A l’hôpital général Delafontaine, nous travaillons avec les patients mais nous veillons aussi à apporter notre aide aux soignants pour qu’ils puissent tenir. Ce dispositif a été mis en place avec les Drs Jean-Pierre Benoit, responsable de la pédopsychiatrie et Joëlle Laugier, addictologue et nous avons la chance de bénéficier de l’appui d’une collègue psychiatre libérale, le Dr Emmanuelle Wolf.
Comment identifier la souffrance psychologique chez un soignant ?
Nous abordons la problématique sous un angle objectif : avez-vous des problèmes de sommeil ? Manquez-vous d’appétit ? Etes-vous fatigué physiquement ? etc. Il ne sert à rien de leur demander s’ils sont déprimés car compte tenu de ce que nous vivons, tous répondront qu’ils le sont. Il s’agit d’objectiver la psychopathologie pour mettre en place un soin adéquat. C’est un véritable enjeu de santé publique. L’organisation de nos services a donc été revue pour être présent sur tous les fronts : assurer le soutien téléphonique aux patients les plus fragiles pour prévenir les crises et anticiper la demande de soins ; intervenir dans le service d’urgences de l’hôpital Delafontaine auprès des patients Covid qui présentent des troubles psychiatriques et donc aider et accompagner les soignants qui sont en première ligne de cette épidémie tout en gardant un lien très fort avec nos collègues des CMP pour éviter les recours intempestifs aux services d’urgence.
Vous avez beaucoup travaillé sur la prévention de la récidive suicidaire. Les travaux et les actions que vous avez menés vous aident-ils dans le contexte actuel ?
A Saint-Denis, la prévention de la récidive suicidaire est basée sur le maintien du lien avec les patients grâce à une veille sanitaire téléphonique. Ce fonctionnement se révèle très utile pour d’autres pathologies psychiatriques. Notre facilité à décrocher le téléphone et à repérer l’état des patients nous donnent effectivement un temps d’avance. Nous voyons aujourd’hui affluer des personnes qui développent des idées suicidaires. Il n’est pas facile de stopper toute activité professionnelle, de vivre confiné dans des espaces étroits ou de côtoyer sa famille en permanence. Se confronter à cette réalité inédite peut générer un stress très traumatisant. En outre, ces publics en souffrance arrivent seuls aux urgences avec la crainte d’être contaminés.
A l’hôpital Delafontaine, nous avons externalisé notre bureau, auparavant situé au coeur des urgences, afin de permettre un accès extérieur et d’encourager la demande d’aide. Le passage du printemps à l’été génère chaque année des pics de tentatives de suicide, auxquels s’ajoutent aujourd’hui la peur de la contamination et de la mort ou encore la perspective d’une crise économique grave. Plusieurs éléments se conjuguent pour accroître récidives suicidaires et primo-suicides.
Craignez-vous l’après-confinement ? Anticipez-vous dès maintenant une recrudescence de pathologies psychiatriques ?
La population est et sera très fragilisée. La Seine-Saint-Denis a été touchée violemment par cette épidémie. Nombre de familles vivent ou auront vécu des deuils compliqués, sans la possibilité d’accompagner leur proche. Et je le répète, pensons aussi à tous les soignants qui sont en première ligne et dont nombre d’entre eux garderont des séquelles psychologiques. N’oublions pas non plus les enfants de ces soignants qui ont dû fréquenter des crèches ou des écoles où ils n’étaient jamais allés et qui voient chaque jour partir leurs parents travailler la peur au ventre …. La charge énorme qui pèse sur les soignants n’épargne pas leur entourage. Les psychiatres devront être présents auprès de leurs collègues somaticiens. Le système ne tiendra que si nous nous soutenons mutuellement.