Parmi les mesures phares et les plus commentées du plan d’urgence pour l’hôpital public, figure la reprise par l’Etat d’un tiers de la dette des établissements publics de santé soit un effort financier de 10 milliards d'euros réparti sur trois ans afin d'aider à "restaurer l'équilibre financier des établissements".
Cette manne annoncée permettra-t-elle aux hôpitaux de sortir de la nasse de l’endettement excessif dans laquelle beaucoup sont plongés et de faire face à leurs obligations de renouvellement de leurs plateaux techniques, de rénovation et de reconstruction de leurs bâtis ? Ou sera-t-elle engloutie dans le tonneau des Danaïdes ?
En d’autres termes cette mesure servira-t-elle les besoins en santé des populations ou ne servira-t-elle qu’à contenir les déficits ?
La réponse à cette question dépend intimement de plusieurs paramètres essentiels dont on ignore tout à ce jour :
- Que recèle la notion de reprise de dette ? S’agit-il d’une cession de créances ? d’une délégation ? d’une aide accordée aux établissements pour honorer le service de la dette ? S’agit-il de mettre en place le schéma présenté par l’Agence France Trésor pour la reprise de la dette de la SNCF par l'État, qui passe par la Caisse de la dette publique ? « Cette reprise de dette consistera à mettre en place un mécanisme de prêts miroirs identiques entre SNCF Réseau et la Caisse de la Dette Publique (CDP), à la suite de quoi l'État, dès que le Parlement en aura donné l'autorisation en loi de finances, se substituera à SNCF Réseau comme débiteur de la CDP, allégeant l'entreprise de la dette correspondante ». Dans ce cas l’État ne se substitue pas directement à la SNCF pour rembourser ses créanciers. La CDP en l’espèce apporte, en tant qu’intermédiaire à la SNCF les fonds nécessaires pour honorer ses échéances. Et quand la CDP verse le montant requis à la SNCF, l'État verse à la CDP un montant identique, d'où le terme de "miroir". Aussi le contrat originel qui lie la SNCF et ses créanciers est maintenu mais la présence de l’Etat dans le dispositif apporte une garantie évidente. Un tel schéma maintiendrait au bilan les dettes en l’espèce bancaires ; la capacité d’investissement des hôpitaux publics ne s’en trouverait pas améliorée…
- Quelles dettes sont concernées ?
Seules les créances bancaires ou d’autres créances notamment sociales et fiscales sont-elles visées ?
- Et enfin quels critères de détermination des bénéficiaires retenir pour rendre cette mesure pleinement efficace ?
Que chacun soit convaincu qu’un saupoudrage serait le pire des choix ne fait pas de doute.
Seraient inutilement dispersés les moyens qu’on peut consacrer à la réduction de la dette des hôpitaux en réduisant la part de ceux qui en ont réellement besoin.
A l’inverse concentrer l'utilisation de l'enveloppe de 10 milliards d’euros au bénéfice des établissements dont l’endettement est le plus important en volume serait aussi contestable.
Seul un examen au cas par cas pour définir de la façon la plus appropriée la politique de reprise de leur dette doit s’envisager.
L’objectif prioritaire devant être de redonner des marges de manœuvre aux établissements qui seront en mesure de les utiliser dans l’intérêt des populations des territoires qu’ils servent.
Ce qu’a pu d’ailleurs souligner le Président de la FHF : « Nous voulons que les allégements de dette soient réservés aux établissements qui ont un projet d'investissement, et éviter d'offrir un blanc-seing aux mauvais gestionnaire ».( Les Echos, 20 novembre 2019).
Cependant, si les critères doivent être clairement établis au niveau national par le législateur après débats en assemblées et nécessaire concertation avec les représentants des établissements publics de santé, leur application sur les territoires et le calibrage de reprise de la dette devraient être appréhendés au sein des GHT.
L’occasion leur est donnée de renforcer leur cohésion et leur intégration et d’entrer véritablement dans une logique de groupe.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, les établissements publics de santé, parties au même GHT, peuvent opter pour la mutualisation de leurs trésoreries, la présentation consolidée d’un programme d’investissement et d’un PGFP uniques, et la conclusion d’un seul CPOM, sous réserve de l’accord du directeur général de l’ARS.
Les GHT convaincus de l’opportunité qui leur est ainsi offerte par la réforme et en particulier de l’intérêt de porter en commun des investissements qui s’inscriraient dans une stratégie territoriale, et d’associer leurs ressources sont parfaitement légitimes à exiger une voix au chapitre dans l’application de la mesure de reprise de dettes et plus encore, d’être, en lien avec l’ARS, force d’initiative.
Ce qui supposerait de requérir, selon une méthode à établir, au niveau des régions et des territoires de santé, les propositions des GHT en association avec les FHR.
Que la voix des GHT soit entendue sur un sujet si sensible suppose évidemment que même en l’absence de personnalité morale définie, le Directeur de l’établissement support puisse légitimement représenter l’intérêt de la collectivité des hôpitaux parties au groupement… et n’apparaisse pas comme privilégiant son seul intérêt.
Me Stéphanie Barré-Houdart
Pour en savoir plus : Le Blog Houdart & Associés