Une étude comparative réalisée par l’Inserm avec l’Université de Paris, l’AP-HP et le CHU de Nantes, pointe l'hétérogénéité des pratiques de diagnostic de la maltraitance infantile et souligne la nécessité d’un consensus international pour des recommandations claires et standardisées. Des résultats publiés dans JAMA Network Open*.
La maltraitance physique concerne 4% à 16% des enfants âgés de moins de 18 ans dans les pays développés et environ un tiers des diagnostics de maltraitance physique sont posés avec retard. Les nourrissons âgés de moins de deux ans sont les plus concernés, ce qui ajoute aux difficultés d’un diagnostic rapide reposant sur une combinaison d'évaluations cliniques et sociales, d'examens d’imagerie et de laboratoire.
Pour guider les professionnels de santé, des recommandations définissant les pratiques à adopter lors d’une suspicion de maltraitance physique sont produites par des sociétés savantes, des autorités publiques ou par des groupes d’experts indépendants. Malgré ce cadre, les prises en charge observées sont différentes en fonction des praticiens, en France comme dans d’autres pays développés.
Le comparatif de recommandations cliniques issues de 15 pays
Pour tenter de comprendre cette variabilité, des chercheurs de l’Inserm, du Centre de Recherche en Épidémiologie et Statistiques (CRESS) de Paris, de l’AP-HP et du CHU de Nantes, ont analysé et comparé les recommandations cliniques de 20 documents de référence, publiés entre 2010 et 2020, issus de quinze payss, et ont découvert une grande hétérogénéité.
Face à ce constat, et pour essayer de comprendre ces différences entre les pratiques, l’étude s’est intéressée aux recommandations destinées à guider les professionnels de santé dans le diagnostic de la maltraitance physique infantile. Ces dernières, accessibles en ligne, sont émises par des sociétés savantes, des agences sanitaires ou par des groupes d’experts de pédiatrie. Il s’agit notamment de documents rédigés par la Haute Autorité de Santé en France, le Royal College of Paediatrics and Child Health au Royaume-Uni ou encore l’American Academy of Pediatrics aux Etats-Unis.
Les scientifiques ont ainsi comparé les recommandations d’examens diagnostiques préconisés en cas de suspicion de maltraitance physique infantile. Ils ont ensuite déterminé pour chaque examen si celui-ci était recommandé de façon systématique, conditionnelle (au cas par cas en fonction du contexte clinique), n’était pas recommandé ou n’était même pas mentionné.
Des divergences dans les examens recommandés
Selon les résultats de l’étude, il existe une grande hétérogénéité entre les recommandations internationales qui pourrait expliquer une partie des différences entre les pratiques cliniques observées pour le diagnostic de maltraitance physique infantile. Quand certains examens sont recommandés de façon homogène, comme les radiographies du squelette, d’autres ne le sont qu’au cas par cas, voire jamais selon les pays. Par exemple, la réalisation d’une scintigraphie osseuse, un examen d’imagerie destiné à la recherche de fractures en complément de radiographies du squelette, est recommandée par la Haute Autorité de Santé et l’American Academy of Pediatrics alors qu’elle n’est pas recommandée par le Royal College of Radiologists. Au sein même du Royaume-Uni, le Royal College of Radiologists et le Royal College of Paediatrics and Child Health diffèrent quant à la recommandation d’un recours à cette scintigraphie.
Des différences significatives ont également étaient observées dans la définition de «lésions sentinelles», des lésions traumatiques retrouvées chez des nourrissons qui n’ont pas acquis la capacité de se déplacer seuls et qui doivent conduire à évaluer le risque demaltraitance physique. Si tous les documents analysés proposent une description de ces lésions, les contenus diffèrent: six en donnent une brève caractérisation et se concentrent uniquement sur les lésions cutanées, dix ajoutent la notion de fractures, de lésions intra- buccales, intracrâniennes ou abdominales.
Enfin, les chercheurs estiment que même les examens qui ne sont pas recommandés devraient être cités dans l’ensemble des documents, ne serait-ce que pour expliquer au praticien pourquoi ils ne sont pas recommandés.
Unformiser les pratiques pour éviter des diagnostics erronés
Selon les auteurs de l'étude, les résultats soulignent la nécessité d’un processus de consensus international afin de produire des recommandations claires et standardisées pour optimiser les pratiques des professionnels de santé dans le diagnostic de la maltraitance physique infantile.« Les médecins généralistes et les pédiatres sont les acteurs clés pour la détection précoce et le diagnostic de la maltraitance physique des nourrissons. Leurs décisions devraient pouvoir s’appuyer sur des recommandations complètes, claires et cohérentes comme c’est le cas dans d’autres pathologies », souligne Flora Blangis, première auteure de l’étude et doctorante à l’Inserm.
Uniformiser les pratiques est un enjeu d’autant plus important qu’un diagnostic erroné peut avoir des conséquences graves sur la santé de l’enfant. En particulier, des résultats faussement négatifs exposent les nourrissons à un risque de récidive de maltraitance estimé entre 35% et 50%.
*JAMA Network Open, 17 novembre 2021/DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2021.29068
Pour en savoir plus : Maltraitance physique infantile: homogénéiser les recommandations pour optimiser le diagnostic